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Le 17 août, nous quittons la ville de Zhongwei direction nord. Il nous reste 4 semaines de validité du visa chinois et encore beaucoup à faire, environ 1300 km pour arriver à Erenhot à la douane mongole en passant par le désert de Gobi en Mongolie Intérieure. Il nous faut aussi faire un détour pour Beijing, demander et attendre le visa mongol, voir notre sponsor PwC et visiter la ville.

Nous choisissons la seule petite route existante afin d'éviter le rush de la vallée principale où villes, pollution, trains, autoroute et fleuve Jaune pourraient ressembler à la vallée du Rhône française où chaque parisien aurait décidé d'y vivre et installer une entreprise chimique ou mécanique.
Une heure de route et nous voilà déjà à l'entrée du Gobi. Quelles que soient nos traversées désertiques à ce jour, elles ont toutes une odeur qui leur est propre et ne trompe pas ! Le Gobi est un doux mélange de terre acide, sable, herbes sèches et poils de chèvres. Le tout est un parfum léger mais pénétrant que l'incessant vent ne réussit pas à dissiper.

Petite route peu fréquentée sur 300 km, jusqu'à l'industriel village de Jartai en plein désert. Nous rencontrons Lucy, pas notre ancêtre australopithèque vieux de 3 millions d'années, mais une très charmante chinoise, employée chez SGS, qui nous invite à son repas de classe d'anciens élèves. On associe toujours aux déserts la vie de nomades vivants au rythme des traditions, on va les prendre en photo puis l'on prend sa douche de retour de voyage. Se retrouver à Jartai dans un décor raffiné à apprécier une dizaine de plats différents accompagnés d'un excellent vin australien, nous met face à notre état de touristes attardés ! Ce voyage met d'ailleurs à jour nos clichés stéréotypes et divers à priori.
Nicolas Bouvier écrivait : "Le voyage ne se justifie pas, il se suffit à lui-même", mais nous avons envie d'ajouter que s'il ne devait avoir qu'une seule justification ce serait probablement celle de supprimer les préjugés.
Nous connaissons de pauvres Suisses.
Les Italiens ne nous ont rien volé.
Les musulmans ne nous ont pas explosé la tête en une année et demie chez eux.
La liberté en Inde est toute relative et discutable.
Les Iraniens ne sont pas tous des poètes.
Les Chinois ne sont pas tous des businessman.
Et les Français ne sont pas tous les meilleurs.
Arrêtons là cette liste trop longue...

Et le désert toujours plus étendu sort chaque jour un peu plus de ses limites.

Avec son vent !

Sa chaleur !

Et ses dunes !

Le manque d'info nous inquiète un peu. Des locaux nous apprennent que l'asphalte se termine bientôt. D'autres affirment que nous ne pourrons pas passer, mais d'expérience nous savons que les locaux n'ont pas pris souvent cette route. Nous continuons donc à rouler et traversons les villages inscrits sur notre piètre liste. Face au vent, nous sommes lessivés par une étape de 70 km pour 7h30mn de pédalage.

Anecdote police locale :
Ce jour-là, peu après Bayan Hot, la police nous croise, fait demi-tour et nous arrête.
Le chef, à l'attitude du coq, suivi de trois fliquesses timides, nous demande de faire demi-tour. Aussi déterminés que lui mais courtoisement, nous disons "non". Nous venons de rouler 5 jours, ce n'est pas pour les refaire en roule arrière.
"Zone interdite aux étrangers", dit-il.
"Et pourquoi ? Y a t'il la guerre plus loin ?", demande Christine.
"Non", répond-il en souriant.
"Des méchants veulent-ils nous tuer ?", continue t'elle avec ironie.
"Non", répond-il encore.
Christine : "Alors pourquoi ne peut-on continuer ?"
"C'est le règlement", dit-il.
"Le règlement n'est pas toujours bon, on continue", dit-elle
Les fliquesses ricanent, danger ! Le chef ne doit pas perdre la face !
Il appelle son supérieur au téléphone, celui-ci parle anglais et demande à parler à Christine. Le même débat se répète, le supérieur ne pouvant justifier cette règle finit par en rire et conclut en disant : "Roulez, mais prenez la route de Xiniwusu, car vous aurez des problème si vous prenez celle de Bayan Mod plus à l'ouest".
"Mais bien sûr", répond Christine avec son air tout câlin.

La route rétrécit encore et nous devrions être proches du village de Xiniwusu. En ce lieu, les locaux en bordure de piste pourront probablement nous informer.

Et nous voilà au bout de la route, une borne ciment indique : km 0. Quelque chose ne joue pas ! Nous sommes dans le hameau de Tukemu, que nous ne pouvions atteindre, d'après notre carte, qu'en passant par Xiniwusu que nous n'avons pas vu ! Il n'y avait pourtant qu'une seule route ! L'asphalte disparaît et laisse place à deux traces de roues qui empêchent l'herbe rare de sortir.
Nous mangeons une soupe toute bien grasse dans la seule gargote et passons ici la nuit. Christine a eu trop chaud sans vraiment s'en apercevoir à cause du vent, elle dort mal, son corps ne régulant plus la température. Nous sommes d'accord, Chris supporte moins la chaleur et moins le froid que moi. Est-ce une différence biologique entre hommes et femmes ?
On s'informe et je repère le départ du chemin qui devrait mener a Hatengtaohai à 80 km, nord-est 40 degrés. Les avis sont partagés, les locaux ne l'on jamais fait à vélo. Les uns parlent de sable aux chevilles, d'autres parlent de montagnes mais tous sont d'accord, ni habitation ni eau.
Notre échéance validité du visa ne nous laisse plus le temps du demi-tour, on décide d'y aller. Au pire, nous reviendrons sur nos pas (avec un peu de chance, sur nos roues).
Ce 1er jour, ciel couvert, pluie légère et vent dans le dos. Le chemin est solide, ça roule et le moral est debout.

Mais pas pour longtemps !

Ca se gâte dans un lit de rivière qui n'en finit pas, il faut pousser les vélos ensablés plusieurs heures pour une bonne dizaine de km, les sacoches trop basses touchent le sol et nous devons les accrocher plus haut sur le vélo. Un ado à mobylette qui aurait pu s'inscrire au Paris-Dakar s'il fût riche, nous a probablement vu arriver de loin. Il déboule à tombeau ouvert d'une petite vallée désertique et nous attend, proche de la piste et du seul point d'eau, afin de remplir nos bouteilles d'une eau trouble et jaunâtre. On bivouac dans la montagne près du lit de rivière, à l'abri du vent, au pied d'un flan de montagne. C'est superbe avec un silence lourd, propre aux étendues désertiques.

Le matin, ciel grand bleu pour démarrer les pistes caillouteuses de la montagne aux roches rouges et noires. Les fonds de vallées sont ensablés, on pousse à nouveau les vélos, il fait chaud et l'on risque encore de manquer d'eau en fin de journée, l'inquiétude remonte. A deux reprises, la piste se partage, forcement sans indication... On décide à la première mais on doute à la seconde. On s'assied en attendant un éventuel cyclotouriste, mais les locaux n'avaient jamais vu de touristes avant nous... Finalement chanceux, le chauffeur d'un camion de cailloux nous indique la direction du village de Hatengtaohai.

Le 25 août, nous retrouvons la vallée routière proche de Linhe et, le 2 septembre, nous atteignons Hohhot, la capitale de Mongolie Intérieure. Son célèbre musée renferme un squelette de dinosaure et autres vieilles bêtes... Les Chinois racontent que dans la région, il suffit de creuser pour trouver des os. Il est vrai que tout le bassin de cette région renferme des trésors de notre préhistoire tels que les reptiles terrestres de l'ère secondaire comprenant notamment le brontosaure, le diplodocus et le stégosaure.

Sans oublier les jolies guides

Il nous reste onze jours pour quitter la Chine. Le manque de temps nous empêche d'aller à Beijing en vélo. Il nous faut pourtant y aller. On fait le crochet en train et ne restons que trois jours à courir dans la capitale. C'est trop peu de temps pour visiter cette cité toute aussi historique que contemporaine.

Toiture de la Cité Interdite
Toiture de la Cité Interdite

Tour penchée des télécommunications pour les JO 2008
Tour penchée des télécommunications pour les JO 2008

Il y a toujours assez de temps pour Christine pour y vider sa bourse et emplir SES sacoches !

Nous visitons PwC, fiers de voir qu'un poster de cycliste décore la réception.

Nous regagnons nos vélos et arrivons à la douane de Erenhot en 7 jours, le dernier de validité de visa. Ouf ! sauf que la sortie n'a pas été aussi rapide que prévue...
Les douaniers en nombre (comme ceux ci-dessous) nous refusent de quitter la Chine à vélo et nous donnent l'ordre de prendre un taxi aux tarifs du business honteusement obligatoire !

Foi de dieu ! Christine et moi sommes bien décidés de leur faire changer d'avis !
Ci-dessous un condensé de la scène avec une rigueur toute égale à la leur :
Eric : "Mais bien sur, nous passerons à vélo !"
Le douanier : "Non"
Eric : "Et pourquoi donc ?"
Le douanier : "C'est le règlement"
Christine : "Ne pourriez-vous pas faire une exception ?"
Le douanier : "Je pourrais, mais je ne suis pas seul, vous avez trop de gardes à passer
et vous serez bloqué."
Eric : "Puis-je parler avec votre chef ?"
Je suis accompagné au poste central mais le chef, encore plus inflexible, a de plus l'art de faire monter les tours ! Il ne veut rien savoir et passe par un traducteur qui aura bien vite du mal à suivre...
J'enfile alors mon doigt dans un pot d'échappement et l'essuie sur la voiture en y laissant des traces toutes noires.
Eric : "Voila pourquoi nous roulons à vélo, nous n'aimons pas cette pollution."
Le chef : "C'est le règlement."
Eric : "Nous pouvons peut-être suivre une voiture de police ? La Mongolie est
à 800 mètres, et charger les vélos et bagages dans un véhicule, risque fort de les détériorer."
Le chef : "Exclu. "
Après 20 mn de pourparlers polis mais explosion latente...
Eric décide alors d'attaquer : "Vous organisez les jeux olympiques 2008 et n'aidez pourtant pas les sportifs. Est-ce seulement pour votre belle image ?"
Le chef se crispe mais se retient. Le traducteur est mal à l'aise. A ce point je me lâche et continue.
Eric :"Vous ne nous permettez même pas de rouler dans les montagnes superbes du Tibet, ni certaines régions de Mongolie Intérieure !"
Sa face se déforme et sa voix bégaye. J'ai compris qu'il est trop tard, j'ai frappé trop fort.
Le chef : "Demi-tour, nous allons ensemble à la police centrale de Beijing."
Eric : "Non, je vais mettre les vélos dans un taxi."
Je quitte la scène, heureux intérieurement de constater qu'il ne me suit pas ! J'ai évité de justesse les profonds emmerdements...
Pendant ce temps, Christine en colère forçait le passage face à des douaniers paniqués.

Nous mettons vélos et bagages sur la remorque d'un semi-remorque. Soumis à de nombreux contrôles, nous devrons l'attendre durant 5 heures sous la pluie.
A la tombée de la nuit, enfin, au revoir au dragon chinois.

Nous avons tellement aimé la Chine ces 4 mois durant, au long des 4'592 km parcourus que ce détail ne change en rien notre vision et nous y retournerons... si possible !
(Si possible, car le chef n'a pas manqué de faire des annotations dans l'ordinateur lors de nos présentations de passeport pour le tampon de sortie...)

Bonjour à la Mongolie, ville de Zamyn-Üüd, au km 31'412.