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Devant les yourtes mongoles
Devant les yourtes mongoles

Nous passons la douane à la tombée de la nuit pour entrer en Mongolie et croisons le premier Mongol, militaire à un check point à l'entrée de la ville de Zamyn-Üüd. Il nous arrête, et main sur le guidon me réclame des cigarettes, j'éclate de rire, chasse sa main et continue. Pauvre gars dont le revenu doit être bien maigre mais tout de même, petite corruption ne fait pas très grand accueil ! Sans transition et en totale opposition avec sa voisine chinoise, la ville est tranquille avec ses ruelles de sable, maisons de bois et deux petits hôtels bien chers pour leur maigre confort.
Au petit matin, la Mongolie nous confirme sa réputation : son célèbre grand ciel bleu pas même souillé par un avion !

Ca donne des ailes, on a envie de rouler, on enfourche les vélos et nous voilà partis plein nord sur la seule route de la ville. Pas pour longtemps ! A moins de 1 km, l'asphalte s'efface et laisse place à une piste sableuse. Pourtant notre carte mentionne la prolongation de l'autoroute chinoise jusqu'à Oulan-Bator, capitale mongole.

Mais où est donc la route ?
Un bricoleur de moteur nous montre l'horizon, pointe son doigt entre deux petites collines et nous dit : "Oulan-Bator ? C'est là-bas, à 640 km !" A califourchon sur nos vélos-camions, on ne sait si l'on doit rire ou pas, il ne parle pas anglais, il n'a pas dû comprendre ! On demande alors où est la route et là, il nous montre à environ 1 km à l'est une ligne droite foncée surélevée. Super, on roule, pousse et roule et repousse les vélos dans le sable successivement dur et mou... C'est laborieux mais proche ! Foi de dieu c'est une voix ferrée rehaussée, je grimpe dessus avant d'y monter les vélos et sans voix, hébété, je n'y crois pas ! Il n'y a rien, rien d'autre qu'un désert à l'infini ! Non loin de là, un cheminot cassant des cailloux nous montre à l'horizon les deux mêmes collines et les pointant du doigt nous répète : "Oulan-Bator, c'est là-bas...". Il nous regarde bizarrement, il doit nous prendre pour des malades et tous deux, sans grande concertation devant cette évidence, nous nous enfonçons doucement dans le désert de Gobi... Je jette un oeil sur la boussole collée au guidon, 48 degrés nord. Forcément dans ces moments incertains, mon pneu avant joue le jeu et rajoute une couche avec son coup de la crevaison !

Vous pourriez croire que dans ces moments le moral baisse. Eh bien, ne vous y trompez pas ! Ce sont justement des journées merveilleuses avec un énorme sentiment de liberté. Accepter l'imprévu est un apprentissage, un enseignement et un sens à l'aventure, il rend toujours plus fort et surtout plus confiant. Son seul danger est la banalisation des évènements puisque les problèmes se résolvent toujours. Et ce jour, nous réalisons trop tard que nous n'avons qu'une journée à peine d'indépendance en eau et nourriture. Tant pis, nous devrions trouver un village à 100 km environ.

Allez Christine ! Choisis la bonne piste, pas la plus courte mais la moins sableuse.

On a roulé 50 km aujourd'hui avant de monter la tente dans ce camping sans clôture, repas léger et ration d'eau. Nous devrions atteindre Erdene demain soir.

L'estomac ce matin n'est guère content mais vers midi, on aperçoit au loin des taches blanches, deux camions stationnés vers des yourtes. Les yeux du chien, du chameau et des enfants nous regardent et nous attendent. La mère et la fille nous cuisinent des pâtes offertes par les deux routiers qui ne cachent pas leur admiration. Traverser le Gobi en camion n'es pas simple affaire disent-ils, mais à vélo... ils ne peuvent y croire. Ces petits signes de reconnaissance sont pour nous de vrais encouragements.

On a fait des provisions et tout va bien direction nord.

17h, arrivée à Erdene. La petite épicerie vend des bières coréennes fraîches; aussi fades soient-elles, dans ces moments elles deviennent les meilleures du monde. Au centre du village, un tuyau d'arrosage plongé dans un puit déverse l'eau vendue par bidon.

Il ne reste que 540 km mais la moyenne n'est pas grande et nous n'avons obtenu qu'un mois de validité de visa, à peine le temps de traverser le pays, à moins d'obtenir une prolongation d'un mois à Oulan-Bator. Capitale où il nous faudra aussi demander un visa chinois.

La 4ème journée est bizarre ! La piste n'a plus le même look et le camion journalier que l'on croisait ne passe plus ! Dans l'isolement, la simplicité des lieux et la suppression du superflu nous ramènent à l'essentiel, on développe le feeling des nuances et les silences prennent un sens, il faut user du détail. Les squelettes et ossements divers sur la piste n'ont rien de rassurant. Depuis quelques heures, je surveille la boussole sur cette piste qui mène trop à l'est et ne se redresse jamais. Ding dans la tête ! Cette fois c'est sûr, c'est une fausse route ! Nous avions ce matin, après des hésitations, contourné par la droite un lac semi-asséché, nous aurions dû le faire par la gauche !

Grâce aux jumelles on distingue au loin deux yourtes fumantes. A notre approche, le chien reste immobile, une jeune fille lavant ses cheveux dans une bassine émaillée nous regarde surprise, l'œil interrogateur et curieux. Un homme âgé essaie de nous expliquer le chemin dans ce lieu vide de repères. Nous quittons alors la piste à angle droit pour rouler dans l'herbe sèche et rectifier la trajectoire toujours approximative, mais 30 mn plus tard, une mobylette nous double et le même homme, qui devait nous surveiller de loin, redresse définitivement notre direction. C'est un évènement pour le tout jeune passager cramponné au grand-père, il a le sourire jusqu'aux oreilles et des étincelles dans les yeux.

Après 200 km, nous arrivons à Sainshand. Les hôtels sont trop chers pour leurs prestations, mais un groupe d'ados nous prend en charge et nous trouve un logement sous yourte. Ces fameuses yourtes si colorées et si douillettes qui fleurissent partout en Europe.

Les villages se succèdent espacés de 100 km. Chacun clôture sa propriété d'une palissade en planches ou poutres ferroviaires, probablement pour se protéger des vents. Une femme avec ses trois enfants nous loge. L'intérieur est impeccablement propre. Un sauté de viande de mouton pour le petit-déjeuner, viande bouillie à midi et devinez quoi pour le souper ? Le Mongole est carnivore, parfaitement adapté à son environnement semi-désertique.

On y trouve néanmoins des épiceries incroyablement bien fournies en saucissons cuits, fromage, pain et bières, tout pour le pique-nique avec des goûts bien de chez nous ! Etonnant au milieu du désert, tous ces produits d'importation du monde entier.
Par le manque de préparation dans notre tête, ce fût toutefois une des plus difficiles semaines de notre voyage, physiquement et moralement. La mentalité de cette région est plus russe qu'asiatique. Les visages sont sérieux et pas franchement sympathiques. Pour faire plaisir à un enfant à vélo, nous le laissons nous montrer le chemin. Il nous demande alors de l'argent. Surpris et mécontent, je l'envoi paître et Christine reçoit alors des cailloux par derrière. Foi de dieu ! Malgré mes bagages, je le course. La peur qu'il a eue le fera peut être réfléchir en croisant les prochains touristes ! Nous n'avions pas ressenti semblable ambiance depuis la Jordanie, deux ans auparavant ! Finalement, nous avons mis huit jours pour 420 km et rejoindre l'asphalte que nous bénissons. A l'instar des Européens des années 50, tout le monde ici réclame l'avancée du modernisme, sauf les touristes avides de balades en 4x4 et d'exotisme. Le désert de Gobi de 1500 km de large serait-il détruit pour être traversé par une seule route goudronnée en lieu et place de multiples pistes jonchées de pneus éclatés et brûlés, de pièces détachées et de taches d'huile de moteurs cassés. Serait-il grave de voir entre Brest et Vienne une seule route descendre du Luxembourg à Marseille ? Nous ne sommes pas opposés au modernisme ou rajeunissement adapté aux technique présentes, pour autant qu'il soit pensé avec sagesse, protection de la nature et respect des peuples.

Quelle joie de retrouver un sol dur !
Quelle joie de retrouver un sol dur !

Puis 220 km en deux jours et nous arrivons à la capitale Oulan-Bator. La ville est bâtie autour d'un monastère bouddhiste du XVIIème siècle, avec de beaux bâtiments administratifs, grande université, grands magasins, belles avenues mais aussi pauvreté et banlieues tristes. Ville en pleine expansion et rénovation qui serait, a-t-on entendu dire, le deuxième pays au monde le plus assisté. De jeunes bénévoles étrangers se sont vus refuser une prolongation de visa sous prétexte qu'il y en avait déjà bien assez !
Il fait moins 10 degrés avec quelques centimètres de neige. Les bouches d'égouts ouvertes sur les trottoirs crachent de la fumée. Des enfants réfugiés à l'intérieur font du feu pour avoir chaud. La gueule toute noire, ces gosses en haillons n’hésitent pas à ouvrir ton p’tit sac à dos pour y puiser dedans. L'alcool fait des ravages et les scènes de rues passent du comique au dramatique, qui fait mal aussi : un jeune couple est affalé au milieu de la route à 4h du matin, complètement saoul et incapable de tenir debout. Un gars bat sa femme et ses cris résonnent dans la nuit. Un homme est ivre au sol, chaussures dans le caniveau; son fils adolescent essaie désespérément de le relever pendant que la mère gifle son mari avec violence et une jeune fille, larmes aux yeux et honte sur le visage, donne de grands coups de pieds à son père dans les jambes. Puis les quartiers des yourtes aux abords de la ville où le nomadisme vient s’échouer.
Oulan-Bator n'est pas la ville la plus belle ni la plus décontractée que l'on ait traversé. Je n'ai d'ailleurs quasi pas pris de photo.

Parc à Oulan-Bator
Parc à Oulan-Bator

Palais d'hiver de Bogd Khaan
Palais d'hiver de Bogd Khaan

La copine Duya et sa nièce
La copine Duya et sa nièce

Nous rencontrons l'adorable Duya, petite amie d'un copain suisse, avec qui nous passons de bons moments. Elles nous parle de son pays et nous gâte en préparation culinaires traditionnelles.

Dès notre arrivée, nous faisons une demande de visa chinois. Le lendemain, un e-mail de l'ambassade nous invite à les contacter. Le visa est refusé sans explication. Nos questions restent sans réponses, l'employé nous dit de nous informer en Suisse et disparaît. Impossible de savoir pour combien de temps nous serons interdits d'entrée en Chine. Voilà donc le résultat de notre prise de gueule avec les douaniers. C'est pas grave, entre temps nous avions appris que la douane de l'ouest qui entre en Chine est fermée aux étrangers. Nous n'avons donc pas d'autre choix que de sortir de Mongolie par la Russie, région de Sibérie... Brrr ! Ce n'est pas franchement la bonne saison. Ca nous met la pression, il fait chaque jour plus froid et la neige menace. On abandonne l'idée de traverser d'est en ouest le pays afin de ne pas trop tarder. Il nous faut quatre jours pour prolonger d'un mois notre visa puis onze jours pour trouver une lettre d'invitation et obtenir le visa russe. Pour ces raisons, nous sommes bloqués à la ville. On en profite pour glaner et s'équiper contre le froid au "black market" avec toques, moufles et bottes en peaux et comme il semble de plus en plus évident que nous profiterons des grands froids sibériens pour rentrer voir la famille, nous achetons un grand sac noir pour l'emplir de cadeaux de Noël.
Nous avons adoré le black market. C’est peut-être le plus gros marché que l'on ait vu en Asie ! Tout s'y vend, des selles de chevaux aux lacets de chaussures, alimentation, outils, pièces mécaniques, vaisselle, tissus, vêtements et tout le reste. Il s’y vend même des yourtes avec l’ameublement. Les clients sont les locaux emmitouflés dans leurs longs "del" de soie ou de laine fourrée. C’est magnifique... mais si vous y allez, faites gaffe à vos poches, on n'hésite pas là-bas à y plonger ostensiblement la main. On appelle aussi ce marché le marché aux voleurs. On raconte même qu'une lame de rasoir vous ouvre tout à la fois, la poche, le pantalon et la viande, mais nous n'avons rien vu de cela.

Un étalage de bottes traditionnelles au Black Market
Un étalage de bottes traditionnelles au Black Market

Le traditionnel  "ovoo" chamanique au sommet
Le traditionnel "ovoo" chamanique au sommet

En Mongolie aussi, les sommets des cols appartiennent aux dieux. La coutume des conducteurs est de leur demander protection en jetant en l'air dans toutes les directions juste un petit fond de verre de vodka, puis suit le verre plein à raz bord bu cul sec par le même chauffeur pour se réchauffer... avant d'entamer la descente.

17 octobre, moins dix degrés et moins vingt la nuit (?). Nos bouteilles d'eau sont gelées à l'intérieur de la tente et la buée de respiration se glace sur nos duvets. Pas facile de faire un café, il faut d'abord découper la bouteille et casser quelques glaçons.
Et vous imaginez l'envie pipi au milieu de la nuit ?

L'accueil au nord fut nettement plus sympathique qu'au sud. Etait-ce dû à la proximité de la douane chinoise, peuple qu'ils rejettent sans d'ailleurs avoir beaucoup d'autres arguments que les histoires du passé. Nous sommes déçus d'avoir loupé la visite du pays pour cause de froid et règles administratives. Nous n'avons pas vu grand chose et sommes convaincus d'être passés à côté du meilleur de ce que le pays et les steppes peuvent offrir. On atteint la frontière russe après 1'192 km. Nous n'avions pas vu de forêts de pins et bouleaux depuis des mois. Il fait toujours plus froid mais heureusement, le ciel bleu garde les routes asséchées. Nous aimerions atteindre Irkoutsk au bord du lac Baïkal avant la neige. Nous sommes tout heureux de cet itinéraire improvisé malgré nous.