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Les derniers jours au Cambodge
13 janvier 2010 - 21 janvier 2010
Pas vraiment drôle !

Pour la 1ere fois, nous brisons la chronologie de nos textes afin de relater en priorité un enchaînement d’événements pour le moins contrariants.

La première mauvaise nouvelle de l’année est la suppression du sponsoring de PricewaterhouseCoopers. Nous les remercions encore de l’aide financière précieuse qu’ils nous ont accordée durant cinq années. Il va maintenant nous falloir trouver un autre sponsor.

Nos derniers jours au Cambodge
Nous avons passé quelques jours à visiter les temples d’Angkor où la nature reprend ses droits. Les racines tentaculaires des monstres arbres bouffent littéralement l’oeuvre humaine. Angkor est trop extraordinaire pour n’en mettre qu’une image. Nous en reparlerons plus tard dans un texte sur la traversée du Cambodge à vélo.

Temple Ta Prohm à Angkor
Temple Ta Prohm à Angkor

Un accident de la route
Depuis Angkor,nous partons direction nord visiter le temple cambodgien de Preah Vihear revendiqué par les Thaïlandais décidés à récupérer cette ancienne propriété. Chemin faisant, nous sommes doublés par un pick-up chargé à l’arrière d’une grappe compressée de voyageurs locaux, cheveux au vent. Il roule trop vite. Peu après, une ambulance à la sirène assourdissante nous dépasse, nous croise, redépasse et recroise. Le pick-up vient de faire des tonneaux sur le bitume, c’est un massacre. La route inondée de sang est bordée de morts alignés, des blessés gémissants sur la chaussée attendent des soins. Les curieux abondent sans pour autant intervenir. Ce n’est qu’un mauvais karma. Sous les signes de la police, nous roulons sur le sang et ces images qui tournent dans nos têtes nous étourdissent. On s’arrête 20 km plus loin pour roupiller dans un temple à côté des démunis. Sous un préau, proche de Bouddha, nous montons notre tente avant de manger un morceau. Vers 22h, un policier nous demande gentiment de quitter les lieux car il va y avoir de l’activité ici. Je propose de les aider en essayant de négocier notre campement, lorsqu’enfin nous comprenons simplement que notre place est celle des morts qui devraient arriver d’un moment à l’autre. Envoyé par le maître d’école, un enfant au regard touchant nous propose un lit dans une ancienne maison de bois, celle réservée aux bonzes.

Une mobylette nous évitant de peu tire une petite remorque dans laquelle on aperçoit un corps mort à plat ventre, jambes pendantes. Nous avions bien compris, il est déposé à même le sol en béton, proche de nos vélos restés sur place. Une vieille dame installe une moustiquaire pour le protéger des mouches. Le sang coule encore des blessures. Le matin, les pauvres du village prennent leur petit-déjeuner entre Bouddha et le défunt. La mort n’a point ici la même signification qu’en Occident. Nous prenons les vélos pour la direction de Sa Em, route bien large et bien poussiéreuse qui mène au temple de Preah Vihear.

Eric arrive au village de Sa Em
Eric arrive au village de Sa Em

Temple Preah Vihear
Temple Preah Vihear

Temple Preah Vihear
Temple Preah Vihear

L’idée est de rejoindre le Mékong afin d’entrer au Laos par la douane sud à 200km de là. Nous quittons donc Sa Em pour Choam Khsant. Il existe une piste direction plein est, pas de montagne et donc à priori sans difficultés majeures.

Entre Sa Em et Choam Khsant
Entre Sa Em et Choam Khsant

Pourtant, au premier village traversé, personne ne sait où mène la piste qui perd de son ampleur. Il ne reste guère que le feeling et la boussole pour décider.

Eric à Choam Ksant
Eric à Choam Ksant

Un motoculteur empreinte la piste, alors on continue, mais proche de Romunh des pancartes rouges nous arrêtent net. Elles mettent en garde contre les mines anti-personnelles disséminées. Il resterait au Cambodge trois millions de mines qui tuent ou mutilent chaque jours, des mines aux aspects divers, difficiles à détecter. On comprend mieux soudainement l’ignorance des habitants sur les alentours. Une mine redoutable insérée dans les troncs d’arbres, dans une cavité carrée à 1m du sol, détecte une présence à quelques mètres, explose et tue en projetant des dizaines de pointes métalliques. Plusieurs cavités face à nous ont heureusement déjà explosé, l’arbre a noirci et le trou est béant.

On prend peur et faisons demi-tour pour chercher une autre piste. Deux pêcheurs à quelques kilomètres de là nous rassurent et nous informent sur les 10km suivants qui devraient mener à un camp militaire.

Entre l'office des forêts et Kamkeut
Entre l'office des forêts et Kamkeut

Nous aurions pu ici faire demi-tour et refaire les deux derniers jours de pistes à l’envers mais les pêcheurs et la piste s’améliorant nous redonnent confiance. Nous longeons à plusieurs reprises une rivière qui doit être la frontière officielle avec le Laos et finissons par trouver les militaires, fort sympathiques, où nous passons la nuit. Six mois plus tôt, un détachement a pris en camion la piste qui mène au Mékong. Ils nous dessinent un sommaire croquis et nous proposent même de nous accompagner par un raccourci sur une piste laotienne, avec leur fusil, drôle de pratique. Nous refusons de passer clandestinement par le Laos et préférons allonger le trajet en restant au Cambodge. La piste change de couleur et de forme, rendant la région intéressante. Nous oublions ainsi pour un moment, mines, serpents et autres piqueurs.

Entre Romunh et camp militaire
Entre Romunh et camp militaire

Entre Romunh et Office des forêts
Entre Romunh et Office des forêts

Le troisième jour, nous réalisons que faire demi-tour devient quasi impossible. Nous n’avons pas semé de petits cailloux ! Ce soir-là, nous trouvons une maison habitée, l’office des forêts où nous campons.
Nous ne sommes pas à plus de deux jours du Mékong. Le moral est bon et malgré la fatigue à rouler sur le sable nous repartons dès le lendemain matin. Mais vers midi, à nouveau le sentiment d’être perdu nous envahit. Le ronflement d’une mobylette au loin nous rassure. Erreur ! on vois soudain le ciel de couleur rouge emplit de fumée. Ce ronflement, c’est la forêt en feu. Direction du vent ? une piste part à gauche et nous écarte des flammes. Nous ne roulons que dans quelques petites flammes d’herbes sèches, nous avons eu chaud :-)

Sur un sol brûlé
Sur un sol brûlé

Entre l'office des forêts et Kamkeut
Entre l'office des forêts et Kamkeut

Et c’est en prenant cette photo que je vois que Christine a perdu sa sacoche arrière gauche. Nous faisons demi-tour et la retrouvons. Notre piste se termine en cul de sac, nous rebroussons chemin jusqu’à l’embranchement précédent, la seconde voie se perd dans les bambous mais la troisième nous mène enfin à Kamkeut, petit village au carrefour de deux pistes. Nous sommes sales et fatigués. Observés par les villageois curieux, nous mangeons quelques pâtes proposées par une femme du village.

Un petit plat de pâtes
Un petit plat de pâtes

Nous retrouvons enfin de la vie. Les gens ont la bouche et les lèvres rouges à mâcher on ne sait quoi. Certains ramassent des grenouilles, d’autres coupent du bois, et le soir nous arrivons enfin à Kampong So Lau, petit village au bord du Mékong tant rêvé. Une guesthouse prévue pour les cérémonies du mariage nous loge.
Le petit-déjeuner du lendemain est en chantant. Il ne nous reste qu’à longer le fleuve sur 25 km, le traverser en barque et rejoindre la grande route qui mène à la douane du Laos. 35 km au plus et c’est parfait car c’est notre dernier jour de validité de notre visa cambodgien. Et nous voilà repartis, mais à la sortie du village la piste tourne plein ouest alors que nous devrions descendre plein sud. En effet, il y a une petite montagne boisée qu’il faut contourner. Il n’y a que cette piste de toutes façons, mais après 45 km, celle-ci ne reviendra jamais sur l’est ... et finit par se terminer dans une zone minée, en cul de sac.

Emplacement de mine anti-personnelle
Emplacement de mine anti-personnelle

Christine a entendu des gens parler et j’appelle plusieurs fois. Pas de réponse. Les bois sont denses. Je prends une branche d’arbre que je laisse tomber devant moi pour me tracer un chemin, je n’ai pas envie de sauter. Cela ne sert peut être à rien mais ça me rassure. 50m seulement et j’entends des voix, 100m et j’y suis. Il y a une petite clairière circulaire, pleine de gens. Femmes peu pudiques, enfants nus et hommes bien sales me regardent dans le silence, l’interrogation aussi probablement, un feu au centre et des casseroles disséminées au hasard sur le sol. Une ambiance lourde qui ne me rassure guère mais j’avance vers celui qui semble être le chef. J’exagère les salutations tout en comprenant vite qu’il sera impossible de communiquer et même plus, qui sont-ils ? coupeurs de bois, je ne crois pas ! contrebandiers en bois rare ? en drogue quelconque ? peut-être, mais mon feeling n’est pas bon et je ne pense qu’à filer au plus vite. Je fais courtoisement mes adieux, revient vers Christine et nous filons à toute allure, chemin retour. On retrouve la piste sableuse qui ramène au village du matin, je fonce devant, Christine derrière.
Soudain, un drôle de bruit et un grand cri ! Christine est passée par-dessus le vélo ! les genoux dans le sable et le nez dans la cendre noire. Je stoppe le vélo, m’approche rapidement et elle me dit : « mon bras est cassé ».

Accident proche de Kampong So Lao
Accident proche de Kampong So Lao

Il est 16h, la nuit tombe à 18h. Il reste 25km, 5h à pied, cacher le vélo et bagage, mettre une attelle en bois, pas sauter sur une mine, sécuriser un emplacement... On décide finalement de camper et dormir là sur place. On verra demain matin ! Mais à la nuit tombante, un motoculteur transportant du bois passe par là. Nous chargeons vélos et bagages et rentrons au village. Nous avons trois heures de route, secoués dans tous les sens. Christine sert les dents. Une sacoche tombe et passe sous la roue de la remorque qui écrase le contenu.

On arrive nuit noire à notre guesthouse, pas d’hôpital, pas de médecin et dans le mouvement je (Eric) perd le porte-monnaie avec tout notre argent.
Je résume : un bras salement cassé, pas de soins, épuisés, plus d’argent, visa expiré, c’est la merde. On essaye d’aller dormir sur les conseils de la patronne de l’établissement.
Tôt le matin, on range le matériel, promesse de paiement à la patronne et retour dans deux ou trois jours. Nous prenons le minimum avant d’aller chercher une solution avec la police locale qui ne sait que décider en 2h de palabre. Il n’y a pas de route et le Mékong a des rapides quelques kilomètres en aval, ce qui en interdit la descente en barque. De plus, le manque d’argent n’aide pas !

Police à Kampong So Lao
Police à Kampong So Lao

Christine a l’idée de traverser le Mékong pour aller au Laos sur la rive opposée. Avec notre vieux billet de 10 francs suisse caché dans nos sacs, on décide enfin un pêcheur de nous y emmener. Pas de douane, nous passerons donc en clandestin. Alors avant de partir, nous demandons à la police locale d’établir un certificat d’accident.

Passage clandestin au Laos
Passage clandestin au Laos

Un quart d’heure de traversée et nous voici sur la plage d’un village d’une île laotienne, sans sous.

L’hôpital le plus proche est celui de Paksé à 200km. Une route asphaltée au loin nous donne de l’espoir. On tend le pouce et la première voiture y va justement directement. A l’arrivée nous prenons de l’argent avec notre carte visa, on se sent déjà mieux. Sauf Christine qui vingt quatre heures après l’accident se voit remettre les os en place sans anesthésie. Christine qui dit rarement quelque chose, cette fois, hurle à plusieurs reprise, je me bouche les oreilles et vais dans la rue. Elle ressort avec un plâtre tout neuf et nous partons dormir profondément.
Le lendemain, la police laotienne refuse de régulariser notre situation clandestine si nous n’allons pas d’abord régulariser celle de sortie du Cambodge. Mais comment retourner au Cambodge et passer les douanes sans être vus ? En gros, disent-ils, c’est votre problème. Je téléphone alors à la représentante consulaire suisse, polie et belle parlotte mais qui ne nous aide absolument pas. Notre arrivée illégale au Laos était tout de même à cause d’une urgence !

Pirouette douanière
Le surlendemain, nous partons en bus à la douane Laos/Cambodge dans l’espoir d’y trouver du monde et du désordre et passer inaperçus. Pas de bol, nous sommes seuls à descendre du bus et les douaniers nous regardent, attendant de tamponner notre sortie.
« Vous quittez donc le Laos », disent les douaniers.
Je réponds : « Non, nous avons des amis à la douane cambodgienne à 20m. Peut-on aller les voir et revenir ? »
Ils réfléchissent et répondent : « Ok ».
Super facile, déjà une douane de passée. Nous marchons rapidement côté Cambodge. La route est barrée par une barrière zébrée de rouge et de blanc. Christine me suit, nous nous baissons et passons sous la barrière. Les douaniers cambodgiens qui nous ont vu faire nous disent « welcome » et je réponds « non, nous quittons le Cambodge ». Yeux grands ouverts, quelques blablas et quelques dollars pour notre retard de visa et nous avons le tampon de sortie.
Nous revenons à la douane laotienne. Côté entrée les douaniers ne sont pas les mêmes et l’on obtient le visa.
Je résume : Chris à son plâtre et peu de douleur, on a des sous, on est en situation régulière, tout va mieux. Le bémol, ce sont juste les vélos et bagages restés au Cambodge. Ce fût facile à l’aller, ça devrait donc l’être au retour.
On se pose dans une petite guesthouse sur une ile du Mékong face aux vélos qui nous attendent. J’irai les chercher demain à l’aube, ni vu ni connu. En attendant, petit restau et petites bières sur une terrasse surplombant le fleuve. Enfin un bon moment de détente que nous laissons couler dans la nuit.
Et là, haaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa ! ne riez pas ! Christine glisse sur le carrelage de la chambre, veut se rattraper au lit avec son bras droit valide. Elle frappe le montant de lit et tombe assise au sol. L’avant bras droit est cassé. Elle refuse d’y croire et se couche sans pouvoir dormir. Le matin, on prend le premier bus, retour à Paksé, à l’hôpital.

Dans le bus pour l'hôpital
Dans le bus pour l'hôpital

Hôpital de Paksé pour le 2ème bras
Hôpital de Paksé pour le 2ème bras

Christine a deux bras dans le plâtre. Elle ne peut rien faire. Je ne peux plus la laisser seule. Les vélos sont toujours au Cambodge. Nous n’avons guère confiance aux soins prodigués et téléphonons à notre assurance AVI à Paris. Ils abondent dans notre sens et proposent de nous rapatrier le lendemain par ambulance en Thaïlande dans un bon hôpital.

Rapatriement en Thaïlande
Ambulance flambant neuve qui roule comme un bolide, à tombeau ouvert sur les routes encombrées. C’est comme un jeu vidéo. Je sens l’accident sans intervenir... 20km seulement avant le freinage d’urgence qui nous balance sur deux roues puis en travers, on va culbuter, non, ça redresse et retombe sur les autres roues, ça secoue et s’arrête enfin. Cris à l’arrière. Christine est éjectée du brancard et se retrouve sans mal supplémentaire sur le sol. L’infirmière est blessée à l’épaule et à la jambe. L’autre infirmière la soigne avant de repartir pour l’hôpital d’Ubon Ratchatani, où Christine y est opérée des deux bras. On y reste trois jours avant d’être transférés par avion à Bangkok où Christine reçoit en prime une plaque et des vis au bras gauche. Nous sommes finalement rapatriés en Suisse pour 10 semaines.

Notre retour
Nous sommes de retour au Laos mi-mai avec notre ami et webmaster Renaud, qui souhaite rouler quelques semaines avec nous. On s’installe sur l’île face aux vélos. Nous sommes sans nouvelles de notre matériel, n’ayant pas réussi à avoir de contact avec les gens chez qui nous l’avions déposé. Je pars au Cambodge depuis le Laos accompagné par la police locale laotienne. Je retrouve tout sous la poussière, à des places différentes mais rien ne manque. Une souris puis deux puis trois sautent d’une sacoche où elles s’étaient installées. Je charge tout sur le bateau. J’indemnise la patronne qui a gardé notre matériel. La police demande 50 dollars sans justificatif, j’en donne 30, le prix équivalent à un visa, et retourne au Laos retrouver Christine et Renaud m’attendant au poste de police, n’ayant pu m’accompagner.

Arrivée des vélos au Laos
Arrivée des vélos au Laos

Christine guérie, matos retrouvé, notre balladavelo peut continuer !