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La Thaïlande sous le signe de l’immobilité
24 août 2010 - 15 octobre 2010
Le nord et ses ethnies

« L’immobilité, c’est le sourire de la vitesse » disait Léo Ferre. Alors sourions car 52 jours en Thaïlande pour 933 km, c’est proche de l’immobile !

Notre arrivée en douceur en Thaïlande, à Chiang Khong, n’a rien de particulier. Nous passons à Chang Saen puis montons au Triangle d’Or bien connu. Pourtant pas grand chose à voir sinon les limites des trois pays, Thaïlande, Laos et Birmanie, au confluent de la Nam Ruak et du Mékong. Le commerce de l’opium qui faisait business n’a laissé dans ses bouffées, que son musée.

Le Triangle d'Or
Le Triangle d'Or

Musée de l'opium
Musée de l'opium

Et la chaleur nous évapore sur les hauteurs de Mae Salong, à la fraîcheur.

La petite ville de Mae Salong n’est pas vieille. L’armée révolutionnaire chinoise du Guomindang avait dû fuir et se réfugier en Birmanie suite à la révolution de 1949. Les Birmans chassent ces Chinois douze ans plus tard. Ne pouvant retourner en Chine, ils passent la douane thaï et s’installent à Mae Salong alors que la région n’est habitée que de quelques tribus. La cohabitation s’organise plus ou moins bien mais malgré cette imvasion, les akhas majoritaires et nombreux, souvent pauvres ont su garder leurs traditions. Les plantations d’excellents théiers, encouragées par le roi, ont remplacés la culture de l’opium, aujourd’hui interdite.

Une Akha pas comme les autres mais selon Eric, pas mal non plus ! Hein ?
Une Akha pas comme les autres mais selon Eric, pas mal non plus ! Hein ?

On s’installe dans un hôtel chinois avec l’idée d’y rester trois jours. La montée raide a donné soif et m’en vais seul boire une petite bière dans un joli petit restaurant. Joyce, Thaïlandaise pétillante et son petit ami Thomas, photographe français, en sont les adorables gérants. Ils doivent s’absenter une semaine et souhaiteraient ne pas fermer leur commerce récemment ouvert. Ne riez pas ! je propose spontanément de m’en occuper, conscient de n’avoir jamais touché ce domaine mais confiant dans ma cuisine... On envisage tous les aspects puis on imprime de nouveaux menus, forcément, je ne vais pas cuisiner thaï :-)
En marchant vers mon hôtel, je me demandais comment Christine allait digérer cette idée, avec de plus, des horaires de 6h du mat à 23h sans interruption ! Mais Christine sourit et c’est parti. Elle se lève à 5h, se prépare et court au marché, le panier de bambou dans le dos et la liste des courses à la main, mais quels fruits choisir pour la salade ? Nous ne sommes pas dans la bonne saison.

Le durian, celui qui pue au point d’être interdit dans certains lieux publics ?

Le durian
Le durian

Celui dont on n’a aucune idée ?
Celui dont on n’a aucune idée ?

Celui plein de grumes et de pépins
Celui plein de grumes et de pépins

Et les légumes n’étaient pas non plus vraiment prévus comme ça ! Les superbes femmes akha et lisu viennent de leur village vendre le produit de leur jardin, diverses racines, divers bambous ou diverses créations traditionnelles.

L’ethnie des Lisu est aussi présente

Et Christine souriante travaille dur à la cuisine, il faut bien qu’Eric discute avec les clients !

Sans oublier la vaisselle à la fontaine, aidée d’un petit qui ne la quittait pas. Elevé par son grand-père sourd-muet, l’enfant n’utilisait guère sa langue sans nos sollicitations répétées.

Et bien sûr, les clients principalement des touristes de passage sont devenus des clients réguliers, puis des copains avant de repartir sur les routes...

Dans l’arrière cuisine, il y a un boulanger chinois, le stéréotype des Occidentaux. Toutes ses phrases se terminent par : « Combien ça coûte ? » ou « Quelle recette dans la caisse aujourd’hui ? ». Il gueule pour faire bosser sa femme qui refuse, puis vient alors s’asseoir déprimé au fond du restaurant, le ciel lui tombant sur la tête.
Pendant qu’il roule ses pains désespérément sucrés, il observe Christine. Ses paupières ne vacillent pas, il est amoureux et l’avoue à tous, sans toutefois le dire à Christine qui n’a rien compris et lui donne en privé des cours d’anglais entre deux clients, sous l’oeil suspicieux de sa femme.

Il a une aide akha avec laquelle il est impossible de communiquer. Elle a l’ordre de noter tout ce que nous cuisinons pour y refaire un jour. Plantée au coin de la table, elle a l’air désoeuvrée. Comment peut-elle comprendre la différence entre une vinaigrette (qu’elle déteste) et une mayonnaise (qu’elle déteste), alors qu’elle ne connaît la salade que cuite dans un bouillon d’eau chaude !

Il emploie aussi un Birman dynamique, discret et charmant venu ici apprendre le métier de boulanger-pâtissier, avec l’intention d’ouvrir son entreprise à son retour au pays, en décembre.

Et puis la petite Som n’est jamais loin, adolescente akha, elle aide Joyce au restaurant.

Extraordinaire, tout ce monde varié vivant dans un espace restreint 16h par jour. Joyce est de retour après 8 jours. Nous rendons la clé et le petit garçon nous dit au revoir avec sa petite voix douce toute neuve.
Libres de notre temps, nous en profitons pour visiter la résidence d’été de la reine aux influences architecturales suisses, puis des balades dans la région malgré les côtes particulièrement raides.

La petite Som
Il est temps de continuer notre route et descendre vers le sud quand Som, la petite Akha, est mordue par un chien au talon d’Achille.

Elle est assise en bord de route, bien seule, et pleure. La plaie est profonde et la douleur vient du tendon. La vieille chinoise, considérant son chien bien plus haut et bien plus intelligent qu’une Akha, n’en a que foutre de cette petite blessée et, dit-elle : « Personne n’est jamais mort des morsures de mon chien ! ». Som avait neuf ans lorsqu’elle a décidé de quitter seule, à pied, la Birmanie pour passer clandestine en Thaïlande et retrouver son grand frère. Elle souhaitait aller à l’école. Joyce l’emmène chez le médecin du coin qui lui recoud la plaie. Le chien n’est pas vacciné, Som non plus. Considérant avec Joyce et Christine les soins un peu légers par rapport aux éventuels problèmes de rage, je loue une moto afin de l’emmener à l’hôpital de Chang Rai. Les médecins nettoient et la vaccinent.
Les regards qui tombent alors sur moi sont dénonciateurs et accusateurs. Je me sens soudain comme un vieux cochon venu chercher une enfant en Thaïlande. Malgré mon attitude paternelle, je ne me sens pas très bien. Le montant des soins est élevé, je paye forcément la note alors que ma banque guette le juste moment de bloquer mon compte trop négatif. Cette balade à moto rend Som joyeuse et son sourire est touchant, cela suffit à rendre au diable la banque et les esprits malsains.
Joyce m’apprend que les assurances de l’école et du gouvernement sont prêts à me rembourser, moyennant quelques démarches administratives. Il me faut les papiers de Som et je l’accompagne dans son village, sur pente boueuse, abrupte et inaccessible à moto. Som ne peut pas marcher, je dois la porter 1h durant et me fait mal au dos dans les glissades. Des ouvrières dans les champs de thé nous crient dessus, manifestement des mots pas très gentils. Som se met à pleurer sans pouvoir m’expliquer. J’apprendrai plus tard que ces femmes trouvaient honteux qu’un étranger s’occupe d’elle plutôt que sa propre mère ! Sa mère, qui avait finalement suivi l’émigration de sa fille, travaille 15h par jour dans les champs. Elle a pris le temps de venir me remercier. Je ne suis pas entré dans sa maison de bambou au sol de terre, trop basse pour moi, guère plus de 1,50 m de haut et déjà habitée par les poules et deux cochons. Assis dehors, j’avais des regards m’observant du haut des collines.

Et nous avons finalement passé près de trois semaines dans ce village de Mae Salong, avant de redescendre sur la ville de Chang Mai par la route 107.

Chang Mai est une grande ville, l’ennemi des cyclistes, alors nous allons droit chez Roderick et Myriama rencontrés chez Joyce et qui nous avaient invité à les visiter. Il est Australien et elle Tahitienne, et se sentent bien ici. Leur villa est superbe au milieu d’un grand parc ombragé jouxtant une belle piscine.

Myriama est potière à ses heures de détente et prend plaisir à bosser un après-midi avec Eric, nostalgique des mains qu’il mettait dans la même terre plusieurs années auparavant. Mais Myriama est une pro avec beaucoup de patience. Ses poteries aux fleurs de Tahiti très appréciées sont vendues dans les magasins de déco de la ville et les journaux parlent d’elle.
Leur maison est un endroit de rêve pour le repos et voilà qu’ils doivent aussi s’absenter une semaine et nous proposent de garder la maison. Qui refuserait ?! Nous voici sédentaires à nouveau pour un temps, celui nécessaire à l’obtention d’un visa chinois de deux mois. Et les voisins Stuart et Jolie nous invitent, et les bons temps se succèdent. Pas belle la vie ?
Avec la bière fraîche, c’est l’occasion de goûter toutes sortes de vers grillés, vers à soie, vers de bambous, sauterelles, criquets... etc. Résultats excellents.

Vers à soie
Vers à soie

Vers des bambous
Vers des bambous

Sauterelles
Sauterelles

Criquets
Criquets

Gros criquets
Gros criquets

Ce sera notre 3ème passage en Chine mais c’est incontournable. Cette région de la province du Yunnan est unique au monde et toutes les ethnies risquent de fondre un jour sous le style des Han, l’ethnie majoritaire en Chine, au même titre que nos Bretons ou Alsaciens aujourd'hui dans les foules de Paris.
Allons-y ! Notre visa de 2 mois pourra être facilement prolongé sur place de 60 jours.
Nous remontons au nord Thaïlande, au bord du Mékong, et trouvons un capitaine de cargo de commerce chinois, Mr. Tang, acceptant de nous embarquer pour nous déposer en Chine après 4 jours de voyage.

Comment ce cargo de plusieurs milliers de tonnes pourra-t-il remonter le fort courant du Mékong ? Et où va-t-il nous débarquer ? Des tas de questions sans réponse car la communication est égale à zéro.

Sept semaines en Thaïlande, sans les avoir vues passer. La Thaïlande est sans conteste un pays qui sait s’occuper de ses touristes. C’est un pays facile à voyager. Nous la quittons avec 52'371 km au compteur mais reviendrons après notre boucle en Chine.